Le soleil avait disparu derrière l'horizon dans un dernier rayon caressant les flots bleus, la jungle s'était endormie, bruissant des frottements nocturnes des prédateurs en chasse. Une petite brise marine rafraîchissait peu à peu l'atmosphère alors que le sol dégageait en douce chaleur l'énergie emmagasinée durant la journée.

Mike et Ricky restèrent un instant silencieux, comprenant peu à peu le récit du vieil homme, analysant leur situation de naufragés cosmiques adorés par un peuple océanique technophage.

- Excusez moi, mais... Vous avez dit que notre navette serait démontée et camouflée avant l'arrivée de l'armé, soit dans quelques jours ?

Edgard contempla Ricky d'un regard pensif avant de répondre :

- Oui. Ils sont devenus très adroits pour ce genre d'opération, ils ont eu le temps d'apprendre avec toutes les saloperies qui tombent dans l'océan de nos jours.

- Vous voulez dire qu'ils savent démonter une navette, mais ils en font quoi ?

- Tout un tas de choses. Ces trucs là sont une mine de matière première vous savez. Ils ont réussi à construire deux petits bathyscaphes et quelques cloches de plongée avec des bouclier thermiques et des réservoirs de booster, les barres nutritives et les kits médicaux sont conservés et inventoriés par l'intendance, les scaphandres sont réparés et utilisés pour la plongée et la récolte de perle et de coraux que l'on vend par l'intermédiaire de plusieurs sociétés écran basées dans les îles caïman.

Devant le regard ébahi de son vis à vis, le vieil homme ajouta, rigolard,

- Un nouveau sport s'est développé récemment, suite à la chute d'un avion espion Américain et de quelques chasseurs dans les eaux internationales : le Jump-Plane, les plus casse-cou des Brick s'élancent du sommet du mont Kucédup où les vents sont extrêmement violents, suspendus à des ailes découpées dans la voilure des avions, ils arrivent à planer jusqu'à la mer, il atterrissent sur des pirogues comme sur des porte avions.

Afin de conclure la discussion, avant de montrer à ses invités les chambres qui avaient été préparées à leur intention durant l'après-midi, l'homme poursuivi :

- Tout ce qui n'est pas récupérable est utilisé par nos artisans pour produire du mobilier plus ou moins artistique, une partie est utilisée ici même et le reste est vendu dans des galeries d'art moderne à New York par un agent qui croit que les Bricks de Tropicana forment un collectif d'artistes modernistes new age.

Les trois compères sortirent de la case, pensifs, contemplants la nuit étoilée qui couvrait l'île endormie. Edgar conduisit les deux hommes vers un repos bien mérité, leur enjoignant de dormir car la journée du lendemain serait riche en événements.

Le chant tonitruant d'un coq de combat réveillé au lance flamme fit tomber Mike de son lit. C'est à dire qu'il essaya de tomber de son lit, se prit le pied dans le rebords de son hamac et s'enroula dedans, un doigt coincé dans l'œil qu'il avait commencé à frotter en s'étirant. La toile de feuilles de bananier tressées est beaucoup plus solide qu'on ne pourrait croire, une bonne dizaine de minutes de contorsions et de jurons bien sentis furent nécessaires pour dépêtrer le malheureux de ce piège insoupçonné.

Contrairement à ce qui est éhontément prétendu dans tout les films mettant en scène des explorateurs découvrant des peuplades indigènes, le petit déjeuné n'était pas composé de gros vers blancs encore vivants accompagnés de fourmis pilées et de jus de lézard coupé d'eau de mer et de lave en fusion, mais d'un solide plateau anglais, tartines beurrées, jus d'orange frais, café noir sans nuage de lait, c'est cancérigène, le tout agrémenté de quelques tranches de lézard frit. Les cochons à bacon ne poussent pas sous ces latitudes tropicales.

Nos deux amis tombés du ciel se régalaient consciencieusement, rattrapant plusieurs mois de diète militaire, au grand ravissement du cuisinier qui enchaînait les rôtis de lézards sur le grand feux qu'il avait allumé dans un four tapissé de panneaux solaires à triple induction, parfaits isolants thermiques.

C'est alors que les tambours résonnèrent à nouveau.

Ricky manqua de répandre son café noir sur le pantalon de combinaison spatiale qu'il avait réussi à garder blanc et propre malgré les turpitudes de la vie, Mike manqua de répandre son jus d'orange frais sur le pantalon de combinaison spatiale qu'il avait réussi à transformer en bermuda malgré la résistance acharnée des trois couches isolantes doublée au Téflon. Les indigènes avaient promptement remballé le mobilier de plage qui agrémentait la petite croisette, dissimulant le tout dans des petites fosses recouvertes d'une fine couche de sable et de quelques noix de coco factices, ils se dirigeaient à présent vers la forêt, entraînant avec eux les deux touristes continentaux médusés.

Mike et Ricky furent escortés jusqu'à un énorme baobab qui se révéla dissimuler l'entrée de la case du sorcier, antre souterraine tout confort creusée dans le sol granitique de l'île. Des moniteurs de contrôle s'alignaient sur des étagères métalliques, affichant des images envoyées par des micro-camera disséminées dans l'île et sur des balises de surveillance en mer. Un radar émettait des séries de bips lorsque son rayon balayait une zone située à l'est de l'île, une petite flotte approchait, semblant chercher quelque chose. Un petit homme pianotait sur un clavier fatigué, juché sur un tabouret roulant en bois, marmonnant des imprécations à l'intention des intrus venus s'aventurer trop prêt de son domaine.

- Je vais te faire un K.O.D sur ton détecteur antiradar, ça va pas traîner, je suis sûr que leurs contre-mesures sont vulnérables au flash-overflow...

Naviguant d'un écran à l'autre, le sorcier ne semblait pas prêter attention aux deux hommes, entièrement concentré sur les événements qui se préparaient dans l'île, lorsqu'il prit la parole :

- Asseyez vous, cette petite blague peut durer quelques heures, ils ne vont pas tarder à trouver l'île.

Mike et Ricky s'approchèrent docilement, se juchant tant bien que mal sur les tabourets de bar placés çà et là devant les écrans. Le petit homme ne leur adressa plus la parole, surveillant la progression des navires dans les hauts fonds bordants l'île. Il poussa un juron lorsque un des terminaux afficha un message sans ambiguïté : DETECTED. Les petits points verts se rapprochaient résolument du centre du cercle sur l'écran radar.

- Ca y est, ils ont percé mes brouilleurs, ils ont trouvé l'île.

Les deux astronautes se regardèrent, indécis sur l'attitude conseillée lorsque l'armée des Etats-Unis d'Amérique vient vous tirer des griffes de sauvages technologiquement et culinairement avancés après une mission suborbitale.

- Edgard ? Il va falloir leur sortir le grand jeu, ils nous ont détecté. J'ai réussi à intercepter les communications GPS, ils ne savent pas exactement où ils sont.

Le chaman informaticien reposa les écouteurs qu'il avait coiffé quelques minutes plus tard, débranchant le micro dans lequel il avait prévenu l'ambassadeur des pygmées. Il se retourna vers ses invités, souriant d'un air énigmatique

- Vous allez voir, la meilleure partie de la pièce va commencer...

Puis il indiqua d'un geste les écrans de surveillance, avant de s'installer dans un confortable fauteuil de cuir beige qu'il tira d'un recoin de son antre.

- Il y a un canapé dans le placard du fond, vous pouvez le sortir, ce sera plus confortable pour admirer le spectacle. Mike, voulez-vous amener le bar roulant par ici s'il vous plaît ? Il est juste derrière vous.

Ricky tira un petit canapé deux places vers le centre de la pièce alors que Mike ouvrait le petit meuble roulant faisant office de bar, remarquablement bien fourni. Le sorcier lui intima le silence d'un geste, indiquant l'écran mural qui trônait au milieu du mur, l'image de la plage et d'une petite embarcation qui approchait se fit plus nette alors que la camera se réglait.

Mike, Ricky et le chaman se turent, confortablement installés devant la télévision, un verre à la main. Le spectacle commençait.

Billy Bilboquet.