Mike contemplait la mer bleue limpide qui s'entendait derrière le hublot. La navette avait amerri comme prévu, au milieu de nulle part en plein océan pacifique, à mille milles de toute terre habitée.
- C'est pas les Marines qui devaient venir nous chercher ?
Ricky se détourna de la console de repérage géographique qu'il était en train de bidouiller; les mains enfouies sous des nappes de câbles aux codes couleurs incompréhensibles :
- Si, un hélicoptère et un cargo pour prendre la navette. Il sont là ?
- Ils ont l'air bien petits pour des soldats de la marine nationale américaine, ils ont des pirogues en écorce et des plumes dans les cheveux, il y a du laisser-aller dans le corps de récupération des missions spatiales.
Mike s'écarta du hublot, lançant un grand sourire à son coéquipier :
- J'adore les imprévus, bienvenu chez les papous à poux !
Ricky ne répondit pas, mesurant avec méfiance la progression des embarcations légères qui entouraient la navette. Il vérifia d'un coup d'œil que le moniteur GPS était toujours en rade, grillé par un court circuit à la suite des pluies de météorites et de l'amerrissage brutal. Il enclencha d'un geste rapide le système de sécurité qui verrouilla les écoutilles, bloquant les commandes extérieures d'ouverture et se prépara à empêcher l'intrusion des pygmées.
Quelques instants plus tard, trois coups secs retentirent, frappés contre la porte du sas principal. Le revêtement insonorisé de la navette empêcha Mike et Ricky d'entendre les sommations d'usage lancées par la section diplomatique de l'escouade indigène. Les deux astronautes se regardèrent, curieux des intentions de ces étranges visiteurs mais assez peu soucieux de lier amitié avec un peuple sans doute prompt à dévorer ses ennemis.
Un fracas de métal déchiré retentit à l'extérieur de la carlingue. La navette toute entière fut secouée, renversant plusieurs petites embarcations trop proches, avant de retomber dans une immobilité trompeuse. Les capteurs d'intégrité de structure avaient tous viré à un rouge clignotant et agressif, indiquant que les petits hommes tropicaux avaient eu raison du bouclier thermique et des premières couches de blindage anti rayonnement, Ricky sera un peu plus fort la crosse du fusil laser à impulsions focales qui formait l'arsenal réglementaire de défense à l'intérieur des navettes spatiales. Un choc violent et soudain projeta les deux hommes contre les parois du couloir d'accès au sas dans lequel ils avaient pris position, bientôt suivi de secousses ponctuées de gémissements métalliques de plus en plus prononcés, les pygmées étaient entrain d'ouvrir la navette comme une vulgaire boite de conserve.
Un ultime craquement acheva le travail, une déchirure apparu dans le métal à quelques centimètres de l'épaule de Mike qui se retrouva en train de glisser sur l'aile tordue de la navette, rattrapé au vol par un petit bras brun et musclé avant d'atteindre la surface bleue lisse de la mer.
Une ovation joyeuse retentit lorsque les deux hommes glissèrent hors de la navette, rattrapés de justesse par les ouvre-boîtes professionnels venu les secourir, devançant ainsi de plusieurs heures la force de frappe éclair de la plus grande armée du monde. La flottille recyclable naviguait à présent en direction d'une petite île tropicale verdoyante, paradis perdu bordé d'un plage de sable blanc et fin surplombée de cocotiers et de bananiers chargés de fruits. Mike commença à ôter sa combinaison dès qu'ils touchèrent la terre ferme, abandonnant son métier de pilote spatial aussi vite qu'il l'avait accepté, tout à fait déterminé à se fondre dans le décor tropical de leurs hôtes. Ricky considérait d'un œil suspicieux les manifestations de joie amicale des autochtones, ayant en mémoire les dessins animés de son enfance dans lesquels les sauvages finissaient toujours par manger les explorateurs blancs.
Mike commençait à construire un château de sable géant, et Ricky à lorgner vers les barques d'écorce en imaginant un scénario de fuite rocambolesque, lorsque les roulement de tambour résonnèrent un peu plus loin dans la forêt, à quelques centaines de mètres à l'intérieur de l'île. Le grondement s'amplifia alors que d'autres tambours répondaient dans les villages voisins, le signal atteint toute l'île en quelques minutes.
Fort de cette introduction grandiose, un palanquin avança lentement à travers les fourrés, se dirigeant nonchalamment vers les deux invités avec la vitesse et la grâce d'un tronc d'arbre grossièrement sculpté porté par une dizaine de pygmées en tenue de cérémonie. Le véhicule s'immobilisa à une dizaine de mètres de la frange écumante du rivage, le paravent de feuilles de bananier tressées fut écarté par une mains ridées qui surgit du trône dissimulé. Les porteurs posèrent leur fardeau à terre, deux d'entre eux aidèrent un vieillard à prendre pied sur la plage sablonneuse.
L'homme qui paraissait être le chef, le sorcier ou le guide spirituel de ce peuple avait pu être un aristocrate anglais échoué ici après le naufrage d'un son navire de commerce, il portait une longue barbe fournie soigneusement peignée, des lunettes à monture d'écaille qui rapetissaient ses yeux bleus délavés par le soleil. Sa peau était ridée et tannée par la vie au grand air et les fines rides qui sillonnaient son visage le faisaient ressembler à un Père-Noël goguenard perdu dans la jungle tropicale.
- Bonjour. Bienvenu dans le royaume de Tropicana.
Mike et Ricky se regardèrent, interdits, commençant à douter de la réalité de leurs perceptions depuis leur amerrissage forcé.
- Inutile de me regarder comme ça. Je suis Edgar Surleuque, citoyen anglais, résident ici depuis neuf ans, deux mois et dix jours.
Le vieil homme parcouru la plage du regard, s'arrêtant un instant sur les pirogues qui tiraient et poussaient la navette éventrée vers une petite crique, il fixa un instant l'horizon avant de continuer :
- Le sorcier du village a vu votre navette entrer dans l'atmosphère quelques minutes avant que vous ne tombiez, à quelques miles d'ici, il a immédiatement envoyé une équipe de sauvetage vous récupérer. La navette sera démontée et camouflée avant que l'armée n'arrive sur la zone, dans environ 36 heures.
Avant que Ricky ait pu exprimer son mécontentement profond et son indignation vis à vis des pratiques du vieillard et de ses petits protégés, Edgar avait tourné le dos à la mer et se dirigeait vers le village dissimulé par les arbres et la végétation luxuriante.
- Suivez moi, nous avons tant à faire et si peu de temps, j'ai beaucoup de chose à vous dire et à vous montrer avant que vos supérieurs ne reviennent.
Le trio se dirigea donc vers la hutte centrale, petite construction de bambou et de palmes de palmier tressées, meublée de souches sculptées et d'un petit transistor du siècle dernier posé sur une étagère de fortune. Le vieil homme s'installa dans un fauteuil de bois et de lianes, réplique naturaliste d'un siège à 5000$ dans une expo d'art moderne, et invita ses deux invités à s'asseoir. Une jeune femme entra quelques instant plus tard, déposa un plateau sur lequel était disposés trois verres, une cruche en terre remplie d'eau fraîche et une bouteille a demie pleine d'un liquide jaune clair anisé et fortement alcoolisé souvent associé au sud de la France et aux parties de pétanque. Après s'être servi un verre et avoir fait circuler la bouteille, le flegmatique anglais commença :
- Les Bricks, c'est le nom du bateaux à bord duquel je me rendais en Amérique pour rendre visite à ma sœur lorsqu'il a coulé à une centaines de miles d'ici, c'est le nom que j'ai donné à ce peuple, je n'ai jamais pu me faire à leur langue et à sa prononciation saccadée et polyphonique. Les Bricks donc, sont des sauvages monothéistes, pratiquant la pèche et la chasse ainsi que la cueillette, ils adorent un dieux unique nommé Puff, incarné par un dragon géant. Depuis quelques dizaines d'années, suite à la chute de plusieurs satellites dans les environs, puis à la découverte de cargos échoués sur des bancs de corail à l'est de cette île, les Bricks ont découvert les technologies occidentales modernes, ils ont créé une seconde divinité, la fille du dragon, nommée Lucy, résidant dans le ciel étoilé, au dessus des nuages qui forment la demeure de son père. D'après la légende, un nouvel âge va bientôt naître, leur peuple est chargé de guider l'humanité dans cette nouvelle évolution. Toujours selon leurs visions sacrées deux hommes, des dieux blancs, seront envoyés par Lucy depuis sa demeure étoilée pour être leurs messagers vers le monde de la terre. C'est ainsi qu'ils font référence à tout pays hors de leur île.
Le vieillard fit une petite pause, pensif, avant de conclure :
- Ca vous fait du boulot hein.
Billy Bilboquet. |