Mike essuya d'un geste rageur la sueur qui lui coulait dans les yeux. Son gantelet auto-propulsé heurta le casque de son scaphandre avec fracas, lui rappelant qu'il est impossible de s'essuyer le front d'un geste rageur dans une combinaison spatiale autonome. Il maugréa dans sa barbe, maudissant les concepteurs qui avaient pensé à traiter le verre de la visière pour éviter la buée, mais n'avait pas un instant pensé à l'éventualité qu'un individu puisse prendre place à l'intérieur du sarcophage volant, et qu'il aurait chaud. Farfouillant dans les outils qui pendaient à sa ceinture, le futur astronaute se rappelait leur arrivée au camp de formation, quelques jours plus tôt.

Ils étaient arrivés en hélicoptère, Lune, Ricky et lui, déposés dans un ouragan de sable et de poussière, le pilote leur avait gueulé quelque connerie incompréhensible avant de redécoller en ricanant. Le commandant instructeur avait surgit d'un coin de béton comme un diable en treillis de camouflage et les avaient accueillis avec les politesses d'usage :

- Alors tas de merde, c'est vous les danseuses que je dois transformer en astronautes ? Ben dites moi, on dirait que ça va pas être de la tarte ! Y'a eu des restrictions de budgets, on peut plus se payer de vrais soldats maintenant, on tape dans le civil bas de gamme ?

Le sergent instructeur, ils devaient l'apprendre un peu plus tard en discutant avec Lune, était un ancien du Viêt-nam, fan de Full Metal Jacket, d'où il tirait la plus part de ses techniques d'enseignement. Il était accessoirement prompt à s'énerver, extrêmement consciencieux et prenait son boulot très à cœur.

- Je suis le sergent instructeur Mac Douglas et vous, vous êtes des putains de civils, des numéros sur une feuille d'admission dans mon camp de formation. Vous êtes ici pour que je vous transforme en astronautes, en soldats capables d'effectuer des missions stratégiques dans l'espace, je vais faire de vous des tueurs stellaires, des bouffeurs de météorites, des guerriers du vide intersidéral, quand j'en aurais fini avec vous, vous saurez démonter et remonter un Soyouz et son lanceur en moins de 15 secondes, vous serez capable de piloter une navette Solaris en vous asseyant sur le joystick de commande, le docteur Spock sera un gamin jouant aux billes en comparaison des spécialistes de l'espace que vous serez devenus.

Mike souri doucement, se remémorant avec délice comment il avait passé avec succès les tests lors de son incorporation, réussissant à se faire reformer pour 'Incapacité généralisé, ne doit jamais approcher un objet plus dangereux qu'une cuillère en plastique'. Il avait passé une demie heure en tout et pour tout dans l'armée des Etats-Unis d'Amérique.

- Ca te fait marrer, connard de touriste débutant ? Tu crois que c'est le club med ici, que je vais vous raconter des blagues à la veillée pour que votre séjour parmi nous soit un délice ? Tu crois que je dirige un putain de camp de vacances ?

- Heu... Non.

- Non ? Non quoi ? Non monsieur ? Non Chéri ? Tu crois qu'on est pote, qu'on va aller boire un verre comme deux vieux routards ? Il y'a deux sortes de gens dans ce camp, les instructeurs, et les chiures de ton espèce, les bleus qui deviendront peut être de futurs soldats si ils ne se cassent pas en deux au premier entraînement, les instructeurs, tu les appelles Chef, t'a pigé ça, ou c'est trop dur pour ton petit cerveau vide et ramolli ?

Réprimant un nouveau sourire, mitigé par l'idée que la réalité était semblable à la fiction, Mike répondit par la formule consacrée :

- Chef, j'ai compris, chef !

- Hé ben, tu vois que t'es pas aussi con que t'en a l'air, c'est quoi ton nom, premier de la classe ?

- Mik... Michel Marshall Chef !

- Mickey, Mickey le Shérif, tu fais la loi hein Mickey ? Ici c'est moi qui donne les ordres, c'est moi qui gueule et c'est à moi qu'on obéit, alors tu prend ton bardât et toi et ton petit copain vous aller vous mettre en tenue d'entraînement, je veux vous voir dans la salle 7 dans 10 minutes, au trot !

La formation avait donc commencé sans attendre. Depuis Mike et Ricky passaient environ 12h par jour à courir, sauter, grimper, démonter, remonter, voler, nager, réparer, et quelques minutes de temps en temps à souffler. Si cette formation avait quelque chose de positif, hormis de les former aux missions spatiales, ce qui n'était pas exactement conforme à la définition de quelque chose de positif dans l'esprit de Mike, c'était qu'elle rapprochait Mike et Ricky, tout deux aussi contents d'être là.

Mike portât à nouveau son attention sur la tache qu'il était entrain d'accomplir, à savoir réparer un panneau solaire touché par une micro météorite, immergé dans la piscine géante du centre de formation. Le genre de trucs qu'il vaut mieux savoir faire, au cas où on ait un jour un panneau solaire qui se trouve par hasard au milieu d'un champ de petits cailloux indisciplinés. Il donna quelques tours de vis, ajusta les contrôles de dérive, la voix de Ricky résonnait dans son casque, indiquant les résultats des divers capteurs du système.

L'exercice fini, ils sortirent de la piscine, s'extrayant avec peine des monstrueux scaphandres qu'ils portaient comme une deuxième peau environ la moitié du temps, ces mêmes scaphandres que Ricky avait refusé d'endosser le premier jour de leur formation, vite obligé de revenir sur sa décision lorsque le sas dans lequel ils étaient avait commencé à se remplir d'eau, froide et bouillonnante, jusqu'au plafond.

Ils étaient au camp depuis environ trois semaines, ils avaient appris les commandes de bases permettant de dialoguer avec le pilote de la navette, les procédures d'urgence en vol, les techniques de forage météoritique, ils devenaient des astronautes.

Débarrassés de leur scaphandres, Mike et Ricky se dirigèrent vers leurs quartiers, croisant de loin en loin d'autres soldats, recrues en formation ou instructeurs, quelques civils chargés de l'entretiens des multiples simulateurs et machines d'entraînement. Lune les attendait dans le couloir menant au mess, elle était chargée de leur instruction théorique en physique, astrophysique et navigation.

Pour Mike, ces quelques heures de mathématiques obscures et de diagrammes incompréhensibles ponctués de formules fuyantes étaient les meilleures de la journée. Non seulement ils étaient assis, chose plutôt rare dans un camp d'instruction de l'armée, mais en plus ils avaient une bonne raison de reluquer sans vergogne leur charmant professeur. Ce dont ils ne se privaient pas.

- Mike ? Vous êtes avec nous ?

La douce voix le tira de son émerveillement ébahi.

- Mmmm... heuu.... qu... oui.

Ricky rigolait doucement, sa formation militaire l'avait rendu plus apte aux distractions impromptues qu'il ne l'était auparavant.

- Bien, reprenons donc, continua Lune, lors de son entrée dans la haute atmosphère, la météorite...

Les simulations en piscine et les cours magistraux se succédèrent vaillament pendant encore quelques semaines, tentant tant bien que mal de transformer les deux collègues profondément civils en individus capables d'aller faire un trou dans une météorite entrant dans l'atmosphère pour chercher un petit morceau de roche en fusion.

Un beau matin, alors que Mike et Ricky attendaient, dans un profond sommeil, que Mac Douglas défonce la porte pour les tirer du lit, Mac Douglas défonça la porte pour les tirer du lit

- Debout tas de fainéants, entraînement spécial ce matin, aujourd'hui je vais faire de vous des hommes, au trot bande de fillettes, fini les vacances !

Plutôt inquiets à la pensée de ce qui pouvait les attendre après les 'vacances' qu'ils avaient enduré ses derniers temps, les deux collègues se précipitèrent dans leur uniforme réglementaire avant de suivre leur instructeur qui marchait déjà en direction de la salle d'armement. Arrivé devant la porte à blindage renforcé, il leur fit face et leur débita le petit laïus qu'il avait écrit pour l'occasion.

- La formation que vous avez reçu a fait de vous des astronautes, mais je dois faire de vous des soldats. Il y a derrière cette porte de quoi équiper une armée, et de quoi réduire en apéricubes la moitié de la planète. Vous allez entrer dans le cœur, dans le poing de fer de l'armée des Etats-Unis. Messieurs, choisissez vos armes.

Sur ces mots, la lourde porte s'ouvrit dans un glissement huilé, livrant accès à une salle tapissée de métal brossé, des étagères couraient sur les murs, du sol au plafond, chargées de métal noir aux formes létales. L'armurerie du camp recelait un arsenal complet, du pistolet à bille au lance roquettes autonome à visée infrarouge couplée sur le nerf optique en passant par les drones tetraphages à mémoire de forme. La mâchoire du sergent instructeur s'ouvrit dans un sourire carnassier, ses yeux brillaient d'une lueur de puissance alors qu'il parcourait en connaisseur son royaume. Mike et Ricky restaient près de la porte, mi-ébahis mi-inquiets devant ces fabuleux jouets de mort.

- L'espace peut receler des dangers mortels, Hal m'a demandé de vous former aux techniques de combat de base, j'ai donc décidé de vous donner un aperçu rapide des différentes armes dont vous serez équipé, j'ai choisi les plus maniables et les plus adaptées à des soldats inexpérimentés.

Perdu dans la contemplation de ses fabuleux joujoux, l'instructeur avait oublié d'insulter ses élèves à chaque détour de phrase. Il saisi quelques armes, les fit passer à ses deux auditeurs qui les saisirent avec réticence.

Il leur expliqua en quelque mot le fonctionnement de chaque arme, les cas d'utilisation de l'une ou de l'autre, avant de conclure :

- Un entraînement global en situation spatial aura lieux demain, piscine centrale, vous y participerez en compagnie de la dix-neuvième spatio-portée.

Mike Marshall et Ricky Rhapsody passèrent le reste de la journée à s'entraîner au maniement de leurs nouveaux outils, tout d'abord intimidés par le potentiel de destruction qu'ils avaient entre leurs mains, ils se prirent vite au jeu le plus vieux du monde : tout casser en rigolant.

Le lendemain, revêtus de leur scaphandre de combat, équipés de la panoplie complète qu'avait sélectionné pour eux Mac Douglas, ils se rendirent à la piscine d'instruction. La salle de briefing était comble, la dix-neuvième au complet, en scaphandre opérationnel, multitude bigarrée rouge et bleu, écoutait d'une oreille distraite l'instructeur exposant les règles du jeu. Ricky avisa un panonceau récapitulant celles-ci :

" Les bleus tirent sur les rouges et vis versa, les scaphandres sont équipés de capteurs réagissants aux faisceaux lasers émis par vos armes, les zones touchées deviennent inertes, le scaphandre se bloque lorsque vous êtes mort. Attention : vos tirs peuvent blesser vos coéquipiers. "

Alors que Mike remarquait les petites plaques photosensibles qui avaient été rajoutées sur son scaphandre peint en rouge, une clameur éclata dans la salle de briefing et la foule s'engouffra dans le sas d'accès à la piscine comme un troupeau de belges apprenant que McDo fait des réductions sur les frites à emporter.

Les deux équipes prirent position, chacune occupant une navette dans un coin de la piscine, séparées par une station orbitale en ruine, point stratégique à conquérir. Les éléments disciplinés de la dix-neuvième formèrent des escouades, des escadrons et des groupuscules d'intervention et envoyèrent des éclaireurs, ignorant les deux touristes qui avaient été ajoutés à leur équipe.

Laissés pour compte, Mike et Ricky observèrent un instant les vagues successives de petits soldats qui s'écrasaient les unes sur les autres, tentant de prendre pied sur la plate-forme centrale et d'y planter un ridicule petit drapeau. Puis Ricky s'intéressa de plus prêt aux plaques qui avaient été ajoutées à son scaphandre. Contrairement aux autres soldats qui jouaient dans la piscine, c'étaient la première fois qu'ils se livraient à cet exercice, leur scaphandres étaient des unités d'explorations modifiées pour recevoir des armes, auxquelles on avait adjoint les capteurs pour l'exercice, tandis que les soldats évoluaient dans des scaphandres de combats modifiés pour l'entraînement, équipés de capteurs sertis dans le revêtement. D'un geste brusque, Ricky arracha une des plaques photosensibles, il bougea délicatement son bras, libre. Pris d'une soudaine fièvre dévastatrice, il entrepris de détacher tout les capteurs qui parsemaient son scaphandre, expliquant rapidement à Mike, interdit, les raisons de son geste :

- Pas de capteurs, pas de détections des impacts, on est invulnérable.

Comprenant le pourquoi du comment et la raison de la jubilation anticipé de son camarade, Mike ôta un à un les capteurs de son scaphandre. En quelques instants les deux hommes avaient rempli l'espace alentour de petites plaques virevoltantes, devenus invulnérables aux tirs ennemis.

Souriant comme des trolls ayant troqué leur hache émoussée contre deux bonnes kalachnikov modifiées, les deux compères se lancèrent dans la bagarre.

Les roquettes à dispersion sonique firent place nette dans le vide séparant les navettes de la plate-forme centrale, grillant les soldats isolés et sans protection, Mike et Ricky avancèrent au milieu des scaphandres immobilisés, insensibles aux rayonnements émis par leurs armes. Outrés par cette attaque sournoise et non conventionnelle, leurs ennemis comme leurs alliés les prirent pour cible, transformant la piscine en un aquarium de la guerre des étoiles. Rigolant comme des gamins, Mike et Ricky répondirent, tirant à tort et à travers de toute la puissance de leur arsenal, larguant à qui mieux mieux des mines de proximité, distribuant des chapelets de grenades offensives à détecteurs de chaleur, arrosant copieusement la zone d'un tir de barrage digne d'une division de pyro-mitrailleurs antiaériens, éliminant en quelques secondes la fine fleur de l'armée spatio-peregrinne des Etats-Unis d'Amérique. Ce qui leur valu d'être viré du camp d'entraînement. Il n'échappèrent au tribunal militaire pour 'entrave au bon déroulement des opérations de formation' que parce qu'ils étaient des civils.

Leur formation était terminée. Ils étaient aptes à sauver le monde.

Ca fait un moment que l'univers a pas disparu...

Billy Bilboquet.