Mike Marshall n'avait pas souvenir que le vide du rien perdu dans le néant eut une odeur aussi déplaisante. Ni qu'il y fasse aussi chaud. En fait le seul point commun entre l'endroit sombre et obscur qu'il occupait en cet instant, tellement sombre et obscur que la plus sombre des plus obscures caves qui vous viennent à l'esprit était en comparaison agréablement claire et lumineuse, et le vide confortable et habituel, tout aussi sombre et obscur, mais légèrement moins oppressant et largement plus accueillant, dans lequel il s'était attendu à se retrouver était qu'il aurait dû être dans l'un et qu'il était dans l'autre. Ce qu'il ne s'expliquait guère, sans toutefois en ressentir le besoin.
Il se leva délicatement, notant avec intérêt qu'il ne voyait pas ses mains, ni rien d'autre au demeurant, il avança donc délicatement en formant devant lui un invisible rempart de ses mains invisibles afin de se prémunir contre tout mur tout aussi invisible. Ce qui est une sage précaution quand on sait avec quelle facilité les murs et autres coins de porte ont tendance à vous foncer dessus lorsque vous descendez à la cave pour rebrancher les fusibles alors que la lumière a subitement décidé d'aller voir ailleurs si le soleil y est plus chaud, même en connaissant sa maison comme sa poche. Mais le mur qui fonçait sur Mike à ce moment là avait l'intéressante particularité d'avoir deux phares. Ils s'avançaient avec la froide détermination d'un métro new-yorkais déjà passablement en retard et soucieux de ne pas manquer le début du premier film. Il fit alors ce que tout héros conscient de son devoir aurait fait à sa place, il partit dans l'autre sens en hurlant. Il se rendit cependant bien vite compte qu'il ne battrait pas la locomotrice sur son propre terrain, et décida de trouver une échappatoire, rapidement de préférence. Le salut vint d'en bas, sous la forme d'un trou béant entre les deux rails vibrants sous la charge de la rame, Mike plongea sans hésiter. Dans les égout de New York.
Ricky parcouru la rue du regard à la recherche de son coéquipier, il ne savait pas exactement ni ou il était ni pourquoi, mais avait toujours en main la liste des courses et la petite boite noire, il était donc toujours en mission. Après quelques minutes indécises au cours desquelles il songea successivement à appeler les renseignements, demander son chemin à un agent, aborder l'aimable demoiselle qui venait à sa rencontre, faire la conversation à la petite boite noire, tenter de retrouver Mike, rester là à réfléchir sauvagement, il décida simplement de dérouler la liste des courses. La première substance, contenue dans la petite fleur bleue des neiges éternelles, était à présent barrée, venait en second la référence d'un produit pharmaceutique courant, accompagnée d'un numéro de série et d'une note précisant que seul le flacon portant ce numéro avait un quelconque intérêt. Aussi Ricky Rhapsody partit-il en quête d'une pharmacie.
Les égouts de New York ont contre eux : leur odeur, leur coût, leurs vapeurs qui sortent des trottoirs, les travaux incessants qu'ils provoquent dans les rues, mais ils ont pour eux : les trous dans le métro qui peuvent vous sauver la vie et les sorties qui vous dispensent d'y rester coincé à vie. Mike était conscient de ce dernier avantage lorsqu'il s'éleva graduellement à la force du poignet sur une échelle rouillée et tordue qui survivait difficilement le long d'un boyau d'accès. Il prit pied sur le bitume avec l'air victorieux du quidam qui revient de loin grâce à sa force et son courage, avant de prendre l'air penné du quidam que sa force et son courage ont entraîné dans les fosses à purin de la plus grande ville du monde. Il marcha quelques instant avant de s'asseoir sur un banc qui passait par là, afin de méditer sur la situation. Il reconnaissait New York, bien que quelques détails lui soient peu familiers, il n'avait pas retrouvé Ricky, ni la petite boite noire et il tenait toujours son exemplaire de la liste des substances à trouver. Il déroula celle-ci, devinant qu'il retrouverai sans doute son collègue à la recherche du second objet, un flacon de sirop pour la toux. Périmé. Cette découverte tourna à vide quelques instants dans le cerveau de Mike avant de s'accrocher à un neurone vacant : ils avaient été envoyés dans le passé afin de récupérer un flacon avant qu'il ne soit acheté et consommé. Dans le passé. Un sourire sans précédent s'élargit entre les oreilles de Mike Marshall, il se leva de son banc et se dirigea à grands pas vers le bar le plus proche.
La pharmacie du quartier n'était qu'à quelques pâtés de maison du point de chute de Ricky, il se dirigea dans la direction approximative que lui avait indiqué un agent, réfléchissant à la meilleure manière de demander un flacon de sirop pour la toux précis. Il supposait que le programme de localisation l'avait envoyé près de la pharmacie qui avait vendu ce sirop, ou près de son possesseur si il avait déjà été vendu. Dans tout les cas la pharmacie était le point de départ obligé de sa recherche. Il entra d'un pas résolu, poussant la porte qui déclencha une sonnerie discrète dans l'arrière boutique. Il arborait son sourire le plus chaleureux, celui des meilleurs contrats et des primes de résultat. Un petit homme en blouse blanche s'approcha, se faufilant entre les étagères chargées de médicaments.
- Bonjour monsieur, beau temps n'est-ce pas, un peu lourd peut-être, je crains que des orages n'arrivent avant la fin de la journée. Qu'est-ce qu'il vous fallait monsieur ?
- Du Tulatou, un flacon de 25cl...
Le petit homme disparu avant que Ricky ait pu lui préciser l'épineux problème du numéro de série, il revint quelques instants lus tard, ajustant ses petites lunettes rondes cerclées de métal craquelé afin de vérifier le nom d'un flacon qu'il avait du saisir à la volée, confiant en sa mémoire et sa connaissance de l'allure de la boite.
- Tulatou, voilà jeune homme, cela vous fera 3$, à moins que vous n'ayez un compte chez nous ? Je ne me souviens pas vous avoir déjà vu...
- Un instant s'il vous plaît, l'interrompit Ricky en cherchant le numéro de série sur l'emballage du flacon, je crois que ce n'est pas exactement ce sirop là que je cherchais.
- Pas celui là ? Tulatou, 25cl, il n'y a pas d'autre modèle monsieur, on ne peut pas changer la couleur vous savez, ajouta-t-il dans une tentative de plaisanterie perdue d'avance.
- En réalité je cherche le flacon que vous avez vendu juste avant celui-là, avança Ricky, après avoir comparé le numéro de son flacon à celui écrit sur la liste, pourriez vous me dire qui vous l'a acheté ?
- Mais monsieur c'est impossible ! Vous comprenez bien que le secret professionnel est tout à fait nécessaire dans notre profession, prenez donc ce flacon, il fera disparaître votre toux avec la même efficacité, soyez en sur !
- Ecoutez...Siffla Ricky d'une voix crispée, je viens d'un univers parallèle dont l'existence dépend du flacon que je vous ai demandé, si je ne trouve pas ce flacon, mon univers disparaît et moi avec, vous comprendrez que je n'ai rien à perdre.
Sur ces mots, Ricky Rhapsody avait écrasé la tête du malheureux pharmacien sur son comptoir, et le menaçait à présent avec un coupe papier trouvé dans un pot à crayon, son souffle saccadé rythmait les tremblements du petit homme.
- Madame Iltom, Catherine Iltom, elle l'a pris ce matin, elle habite un peu plus bas dans la rue. Souffla le pharmacien, disparaissez avant que j'appelle la police, ajouta-t-il en se massant l'épaule.
Ricky se rua hors de la pharmacie, jetant au passage le coupe papier dans une poubelle après l'avoir essuyé sur un mouchoir afin de faire disparaître les empreintes, ainsi qu'il l'avait appris dans les films.
Mike Marshall était aux anges. Il avait jeté son t-shirt maculé, avait piqué un pull dans le vestiaire du bar, et était à présent accoudé devant un litre de bière. Il rêvassait au pouvoir que lui donnait la connaissance du passé, du futur donc. Il avait suivi les matchs de base-ball ainsi que les principaux tournois de basket, il allait devenir riche en quelques jours en gagnant tout les paris qu'on voudrait bien lui proposer. Sirotant tranquillement sa bière tout en surveillant le barman afin de s'éclipser avant de devoir payer, il énumérait les lieux dans lesquels il se rendrait une fois riche, la marque et la couleur de chacune des trente voitures qui occuperaient son garage, le nom des bars qu'il pourrait s'acheter afin de pouvoir consommer tranquille. Mike naviguait nonchalamment dans son océan de bonheur potentiel lorsque son regard accrocha la liste de courses qu'il avait posé sur le comptoir. En un éclair, les dernières heures passèrent devant ses yeux, montage stroboscopique de doigts appuyant sur le petit bouton rouge d'une petite boite noire. Comme frappé par la foudre, il sauta de son tabouret, saisi à la volée le rouleau de papier et quitta le bar en oubliant d'oublier de payer, mais sans payer toutefois. Réfléchissant à toute vitesse, il se dirigeait vers la pharmacie qu'il avait aperçu en venant. Elle n'était qu'à une centaine de mètres de la bouche d'égouts par laquelle il était sorti du métro, mais il avait flâné en cherchant un bar, dans la direction exactement opposée. Avisant un gamin qui fonçait vers lui sur sa trottinette, il l'arrêta brusquement, le poussant de coté :
- Je te l'achète... heu... Mike fouilla dans ses poches et avant que le gamin ne soit remis de sa surprise il lui fourra dans les mains un billet de 5$. Parie ça sur étoile d'argent, dans la cinquième, samedi.
Le gamin était toujours planté au milieu du trottoir, le billet froissé dans la main, regardant l'étranger en bermuda élimé pousser vaillamment sur la trottinette de son frère. Le trafic était dense, mais les trottoirs étaient juste assez encombrés pour que Mike puisse bousculer les passants trop lents à s'écarter, il fila comme une flèche vers la pharmacie où Ricky devait être en train de chercher le remède aux maux de son bien-aimé patron, aveugle à la chance qui se présentait à eux. Franchissant le dernier coin de rue qui le séparait de son but, Mike aperçu Ricky, apparemment aux prises avec une vieille femme revenant de ses courses, des bribes de conversation lui parvinrent alors qu'il se précipitait vers eux de toute la force de sa trottinette :
- Ecoutez Miss Iltom, Catherine, c'est un service tout à fait anodin que je vous demande, je vous donne ce flacon en échange du votre, pourquoi vous entêter ?
La petite vielle serrait son cabas contre son flanc, peut désireuse de faire des affaires avec cet inconnu, mais devant son insistance et sa détermination à l'importuner pour le restant de ses jours si nécessaire, elle céda et sortit le petit flacon de son sac.
Ricky Rhapsody sourit un instant en échangeant les flacons, avant d'apercevoir Mike Marshall qui fonçait sur eux en hurlant des imprécations à propos des paris sportifs. Il n'eut que le temps de pousser la grand mère sur le coté, hors de la trajectoire de la trottinette kamikaze, avant d'être heurté par son collègue hors de lui.
L'un et l'autre se relevèrent avec peine, Mike tentait d'expliquer la formidable opportunité qui s'offrait à eux, tandis que Ricky cherchait désespérément des yeux le flacon qui lui avait échappé. Mike gesticulait encore lorsque son collègue trempa délicatement son doigt dans le liquide rose bonbon qui s'échappait du flacon brisé, avant de l'essuyer contre les parois de la petite boite noire. Comprenant instantanément que Ricky n'avait rien compris à la situation, Mike se jeta sur lui dans le but tout simple de lui arracher les petite boite noire des mains avant qu'il appuie bêtement sur le petit bouton rouge. Dans sa précipitation et la confusion qui suivi, il appuya malencontreusement sur le petit bouton rouge. Et alors l'univers disparu.
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Billy Bilboquet. |