Aucun beau rivage ne mérite autant son nom que Beau Rivage. A l'exception peut être d'un petit coin de sable fin en face d'un glacier au sud d'un agréable petit océan sur une planète de tourisme sur laquelle j'ai passé quelques jours il y a quelques temps. Mike et Ricky avaient été réveillés en fanfare par le système de ponctualité domotique que Lune avait étalonné la veille. Alfred, moins agressif que précédemment mais toujours aussi culinairement actif avait disposé tous les ingrédients d'un petit déjeuner luxueux sur la grande table de marbre blanc de la cuisine. Tous les quatre s'étaient assis autour du festin matinal qui avait été accueilli avec appétit par chacun. Lune n'avait offert aucune explication à propos de leur destination, ou de leur moyen de transport. C'est tout naturellement qu'après le petit déjeuner elle avait donné rendez-vous dans le garage, dans quinze minutes.
Les maisons américaines sont souvent trop grandes, disposant d'un frigo par personne et d'encore plus de voitures de toutes tailles, surtout des grandes. Cette démesure s'étend aux chambres, salles de bains, de bowling et de billard ainsi qu'aux piscines, golfs, parcs d'attractions, aéroports et spatioports qui surgissent et parsèment comme autant de mensonges ma description improbable et tout à fait superflue. Tout ça pour dire que le garage était grand. Et qu'il n'était pas au bon endroit.
Imaginez la surprise de Mike qui, montant dans le petit ascenseur lambrissé de chêne blanc, cherche distraitement le niveau -1, -2 ou un quelconque chiffre précédé du petit tirait signifiant 'garage potentiel' et, ne le trouvant pas, examine attentivement la ribambelle de petits boutons de bakélite noire qui se succèdent à intervalle réguliers jusqu'au dernier qui arbore fièrement la mention tant attendue 'garage' au dessus de ses collègues jaloux.
Non content d'occuper le dernier étage avant la terrasse, par ailleurs fort accueillante, le garage abritait non pas un luxueux cabriolet clinquant et cuivré, confortable jusqu'au péché, caréné comme un monstre d'aérodynamisme et propulsé par un petit compresseur à argon discret et phénoménalement destructeur en milieu urbain, mais une bête fusée stratosphérique, modèle standard, sans même un petit autocollant humoristique sur une aile ou sur l'autre.
Il faut avouer que malgré l'aspect extérieur assez peu convainquant de moyen de transport, le voyage jusqu'à Beau Rivage avait été rapide et confortable. Sans doute parce que la fusée minable et peu décorée par une IA de classe 'Revenez-y' avait choisi le nom amical de 'Si vous saviez' et était en réalité conçue pour amener ses passagers sur le gros porteur orbital 'Bien Dit' en quelques secondes. Ce qu'elle fit après avoir expliqué avec force exemples qu'il était inutile de communiquer aux passages les consignes de sécurité car la survie en environnement défaillant au milieu du cosmos était strictement impossible pour des créatures aussi faiblardes et dépourvues du sens de l'humour que les homo sapiens.
La navette stratosphérique déposa donc ses quatre passagers sur le pont du super cargo de tourisme avant de regagner son garage d'attache pour une révision complète et une petite partie d'échecs avec le système domotique.
Les gros porteurs trans-systémiques sont au futur ce que les caravanes touristiques à dos d'éléphant blanc sont au passé, fortement improbables. Ils fonctionnent néanmoins parfaitement et assurent le transport de passagers d'un point à l'autre de l'univers connu en un temps garanti par la charte de satisfaction client, juste au dessus des petits caractères énumérant les clauses restrictives et concurrentes.
Le 'Bien Dit' était un gros porteur de classe 'fait moi rire' et disposait de toutes les installations nécessaires et superflues permettant le tourisme interstellaire. Le voyage de leur orbite de départ jusqu'à Beau Rivage prit environ cinq jours grâce au propulseur GalaxyQuest mention plus, le meilleur propulseur des mondes habités, et pour un solaris de plus, le golf est offert, offre limitée, appelez vite votre concessionnaire ! Cinq jours de croisière stellaire, de faste et de banquets, de piscine à vague chauffée et de cinéma dolby stéréo grand écran avec de la place pour les jambes, cinq jours de grâce méritée avançant à un multiple astronomique quelconque de la vitesse de la lumière au milieu de l'espace froid et désolé.
La navette dépêchée par le congrès se posa à Beau Rivage en fin de matinée, le compresseur temporel lié à tout un tas de considérations compliquées ayant permis de réduire les cinq jours de temps de voyage en quelques heures de temps réel approximatif.
Beau Rivage n'est pas très impressionnant vue du ciel. Du moins de très haut, la fin de la descente, lorsque la fusée plonge allégrement vers la surface moutonnante de l'océan bleu roi de toute la puissances de ses propulseurs déchaînés, est nettement plus imposante. Surtout à l'instant où on comprend qu'on ne s'arrêtera jamais, que le monstre de métal va s'abîmer dans l'océan, écrabouillant ses passagers entre les énormes parois tordues par la puissance phénoménale de l'impact démentiel.
L'histoire ne dit pas comment une telle situation peut voir une fin heureuse, et comme les transmissions vidéos des cameras extérieurs de la fusée furent coupées quelques secondes avant l'impact, les passagers restèrent dans l'ignorance des capacités amphibies des navettes du Centre de Recherche et de Prospection Tous Azimuts de Beau Rivage.
Les cinq jours de croisière interstellaire avaient permis à Lune et Alfred d'exposer la situation à Mike et Ricky en détails, leur expliquant les travaux d'Alfred et de sa fille, Feryl Fanchon, l'état de leurs recherche et l'importance de la conférence qu'ils devaient donner au cent cinquante septième congrès des technologies des communication et des transports, dans quelques jours.
Beau Rivage est une planète océan, entièrement submergée, d'ou son nom. Le CRPTA est un complexe de recherche posé au fond de l'océan, l'entassement de modules, de bâtiments, de laboratoires et de résidus d'expériences avortées est tel que la construction affleure à la surface de l'eau en une sympathique plage de sable, déserte et désolée mais bien ensoleillée et agrémentée d'une cabine de douche et d'un ascenseur d'accès.
Dès leur arrivée, Lune et Alfred s'éclipsèrent, elle pour vérifier avec le service de sécurité que toutes les procédures étaient respectée, lui pour déjeuner avec sa fille et préparer le calendrier des expérimentations et les exposés du congrès. Mike et Ricky, livrés à eux mêmes, avaient visité le complexe, s'étaient perdus trois fois dans les couloirs et les ascenseurs menant aux piscines et aux restaurants avant de se retrouver coincés sur la plage, la cabine refusant obstinément de redescendre par une si belle après midi, ce serait bête de manquer un soleil aussi radieux, surtout à cette époque de l'année. Ils avaient donc eu tout loisir de tremper les pieds dans l'onde fraîche et de parcourir le stock de maillots de bains proposés par le distributeur de la cabine de douche, de faire des châteaux de sable rivalisant d'audace et d'élégance et de contempler le soleil paresseux avançant sans se presser dans le ciel sans nuages. Lune était venu les réveiller à la nuit tombée, son badge noir et rouge estampillé 'Sécurité, Niveau Jedi' ayant facilement convaincu la cabine de se bouger, et plus vite que ça.
Tout ce petit monde commençait à avoir de l'appétit lorsqu'ils se mirent en route afin d'aller retrouver Alfred et Feryl au Mac Millan Fish n Chips, le meilleur restaurant de ce coté-ci de l'océan.
J'ai faim...
Billy Bilboquet. |