L'homme marchait de long en large comme un fauve en cage. Il arpentait le bureau dans un sens, puis dans l'autre, maugréant contre l'injustice qui l'avait amené ici. Face à lui, trônant sereinement dans un confortable fauteuil en cuir, un petit homme replet le suivait des yeux.
- Vous allez creuser une tranché à force de réfléchir ainsi, monsieur Tranxene.
Le fauve se retourna pour faire face à son interlocuteur, son regard noir se planta dans les yeux du petit homme.
- Je réfléchirais jusqu'à trouver une solution, vous ne pourrez pas me forcer la main.
- Allons, soyez raisonnable, le calma le bureaucrate, nous avons racheté le contrat qui vous liait à la SecurInc, vous êtes à présent un salarié comme un autre, vous devez honorer vos engagement vis à vis de votre ancien employeur, et donc de la KinderElectrics.
Tyron Tranxene était arrivé la veille au siège de la multi-planétaire, le transporteur lourd 'Cours Toujours' avait pris en charge son intercepteur de combat dans le système de Xyrann, alors qu'il venait de finir une mission d'annihilation pour le compte de la S.I.. Il avait passé environ une semaine en transit dans le vide absolu avec pour seule compagnie l'I.A. terriblement bavarde du transporteur, sans savoir quelle était sa destination, la S.I. ne dévoile jamais les mission qu'elle assigne à ses agents.
Depuis Tyron réfléchissait. Plus il réfléchissait et plus il lui apparaissait évident qu'il n'avait pas le choix. Tireur d'élite, opérations spéciales, infiltration, recherche et destruction, il était à lui tout seul plus efficace qu'un bataillon de Black Adders, il aimait partir pour des destinations inconnues sur des planètes lointaines, étouffer des rebellions dans des empires inconnus, être largué au milieu d'affrontements sanglants, toutes griffes dehors. Mais ce qu'on lui demandait là, ce qu'on lui ordonnait là, puisqu'il n'avait pas le choix, non, c'était trop.
- Ecoutez moi très attentivement, siffla Tyron en faisant face au bureau et au petit homme immobile, je suis la machine de guerre la plus aboutie que l'univers ai jamais porté, je peux vous tuer et désintégrer la planète entière avec la bombe dissimulée dans mon petit orteil gauche, là, tout de suite. Alors s'il vous plaît, ne me demandez pas ça !
Le petit homme restait inflexible devant les supplications du Terminator, il se leva et fit quelques pas en direction de son interlocuteur :
- Soyez raisonnable voyons, notre problème est très grave, sans une protection rapprochée monsieur Analog ne survivra pas aux quelques semaines qui nous séparent du congrès, si il est tué avant d'exposer ses idées, l'humanité tout entière sera lésée. Les calculs de Hal sont formels, vous êtes le seul à pouvoir assurer sa protection de manière discrète et efficace.
- Mais je ne veux pas... Je ne peux pas être une nounou ! Sanglota le grand destructeur.
- Allons, reprenez vous, votre rôle sera de surveiller monsieur Analog et sa propriété, il a lui même refusé tout protection, vous devrez donc rester invisible, vous n'aurez aucun contact avec les occupants des lieux. D'autres agents se chargeront de la protection rapprochée.
- D'autres agents ? Interrogea Tranxene, redevenu fier et sérieux, qui ?
Même dans un monde aussi étendu que le Septième Empire, malgré les distances incroyables qui séparaient les planètes et la population sans cesse croissante qui peuplait l'univers, les professionnels connaissent toujours leurs concurrents, Tyron Tranxene était le meilleur, il avait toujours été le meilleur, depuis qu'il avait éliminé son rival à mains nues dans un combat sanglant sur la planète des mercenaire, il tenait à connaître ceux qui avaient été choisis pour le seconder.
- Leur nom ne vous dirait rien, ils ne sont pas vraiment... Quoi qu'il en soit, vous les verrez au briefing à leur arrivée. Voyez Hal, commandez le matériel dont vous aurez besoin, je dois vous laisser, je dois contacter vos futurs collègues.
Le petit homme se tourna vers la baie vitrée qui s'ouvrait derrière son bureau, il soupira discrètement lorsque Tyron fut sorti. Décidément son boulot n'était pas du tout ce qu'on lui avait promis à la sortie de l'école.
Secouant la tête d'un air désabusé, il se dirigea vers le terminal et appela Hal.
...
La première intelligence artificielle créée par l'homme avait été assemblée dans les laboratoires de la KinderElectrics, une éternité avant la naissance du plus vieux des vieillards vivants, maîtresse de son évolution, elle avait grandi, évolué, survécu à ses créateurs et enfanté une tripotée de petites I.A. secondaires, mais aucune n'avait la même expérience des hommes, le même passé, aucune n'était capable d'interpréter aussi bien les méandres des comportements humains, aucune n'avait la même clairvoyance.
Le visage d'un vieillard bienveillant se matérialisa au dessus du sous-main en cuir de Bayonne qui couvrait le bureau de l'agent spécial des recrutements parallèles :
- Salut Basile ! Quoi de neuf ? Notre ami Tyron se porte bien ?
- Il sort d'ici à l'instant, il a accepté.
- Il n'avait pas le choix, il le sait bien. Nous devons maintenant contacter nos deux autres agents. Voilà qui sera plus délicat, croyez moi.
Hal resta pensif un instant, Basile Brène se garda bien d'interrompre les réflexions de l'I.A. la plus vieille de l'univers.
- Si mes souvenirs sont exacts, et ils le sont toujours, cela promet d'être une discussion intéressante, nos clients ne seront pas faciles à convaincre. Quoi qu'il en soit c'est votre affaire, je calcule, j'enregistre et je réfléchis, vous vous chargez du contact humain. Allez y mon ami, convainquez nos sauveurs.
Le visage souriant s'effaça, remplacé par un antique téléphone, bien solide, télématérialisé depuis les bases de données historiques du système. Un petit carnet d'adresse était posé à coté de l'artefact surgit du passé.
Basile l'ouvrit, le feuilleta jusqu'à trouver le premier des noms qu'il cherchait, puis composa le numéro...
Et les atteignants s'atteignirent. Presque. Encore un peu de patience et le nœud se nouera autour de la gorge des acteurs surpris et sans défense.
Billy Bilboquet. |