Le soleil se levait doucement sur central-park, les rayons traversaient l'épaisse couche de smog pour arriver jusqu'aux fenêtres du bureau, diffractées par le verre humide de la condensation nocturne. A quelques kilomètres de là, le réveil sonna. Une main rapide l'arrêta avant la fin de la première sonnerie, repoussa vigoureusement la couverture tandis qu'un pied plongeait vers le sol à la recherche des pantoufles sagement alignées.
Ricky se dirigea vers la salle de bains, allumant au passage la radio qui commença à débiter les informations matinales, litanie monocorde de meurtres, résultats du lotos et météo nationale.
Quelques instants plus tard, le jeune cadre dynamique, sanglé dans son costume trois pièces Biglio Gabliani à cinq mille dollars sortit de son appartement, l'ascenseur programmé l'attendait, le déposa en base de l'immeuble où il grimpa dans une voiture qui vrombi derechef en direction du centre de New York.
La vie de Ricky avait bien changé depuis son retour de cette petite île perdue au milieu du pacifique. Son patron lui était immensément redevable, à vie, les aventures et les épreuves qu'il avait affronté et surmonté lui avait valu une solide réputation au sein de la KinderElectrics et au dehors, il était devenu une star, un sauveur, un héros.
Le phénomène médiatique était bien vite retombé, mais l'argent était resté et continuait à couler à flot. En somme, tout était pour le mieux.
Sauf que c'était chiant.
Les réunions, les plans financiers, les briefings, les meetings, les déploiements, les offres, les enchères, les rachats, les OPA, tous les rouages simples ou compliqués de la gestion de la KinderElectrics s'engrenaient devant les yeux de Ricky qui contemplait, absent, leur danse autrefois fabuleuse.
Il n'était pas devenu un grand maître de l'économie mondiale, un gourou des flux monétaires, un dieu tout puissant des actions et des négociations, bien sur. Il avait la possibilité de s'intéresser à tout, de prendre en charge n'importe quel projet, de lancer des opérations fructueuses ou vouées à l'échec, il avait tout pouvoir au sein de la société dont il avait sauvé la tête, seulement... C'était sans intérêt.
Les courses effrénées, les décharges d'adrénaline, les frayeurs violentes et les espoirs profonds, la vie d'aventures et de dangers qu'il avait vécu pendant quelques jours trépidants était présente au fond de son cœur comme un orage bouillonnant ne demandant qu'à resurgir.
Malheureusement, aucun défit humain ne pouvait égaler ce qu'il avait connu.
Ricky traversa le large hall étincelant de blancheur, monta dans l'ascenseur tandis que le portier lui souhaitait une bonne journée d'une voix onctueuse, se laissant distraire un instant par l'odeur de lavande et la douce musique d'ambiance qui rafraîchissait ses tympans, sorti à l'étage auquel la cage s'immobilisa, puis marcha d'un pas peu convaincu vers son bureau.
Il s'assit, soupira, consultât d'un œil morne l'emploi du temps du jour, puis commença sa première partie de cartes de la matinée, bataille simple contre un processeur que Hal lui avait gentiment alloué.
Il était à peu près au milieu de sa première partie lorsque le téléphone sonna.
...
Le soleil se couchait doucement sur la mer, les oiseaux tropicaux virevoltaient au dessus de l'océan calme, les rayons rougeoyaient sur les vaguelettes qui se succédaient tranquillement sur la plage de sable.
Lune et Mike étaient installés sur un canapé de velours rouge et or, sur le bord de la terrasse qui courait le long de la colline. La KinderElectrics avait mis en œuvre tout les moyens possibles pour leur construire cette sympathique villa sur les pentes du mont kucedup, à quelques centaines de mètres de la plage de sable blanc sur laquelle Mike et Ricky avaient pris pied, tombant du ciel sur une île inconnue, quelques semaines plus tôt.
Lorsque les deux hommes étaient ressortis victorieux de leur rencontre avec la mort, la fête avait secoué l'île et tous ses habitants pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, puis était peu à peu retombée, chacun reprenant conscience de ses obligations, du monde qui continuait à tourner.
Tout le monde sauf Lune et Mike, alors que chacun était reparti vers le continent ils avaient demandé de rester sur l'île, pour des vacances prolongées qui leur avaient été accordées par monsieur Manvussa, tout heureux d'être à nouveau vivant et en bonne santé.
Les semaines s'étaient succédées sur cette île paisible, les deux amoureux vivaient de pêche, de cueillette et des plats cuisinés qui étaient régulièrement parachutés par un hélicoptère de la marine.
Une vie de rêve en somme.
Peut être un peu trop.
Lune commençait à se languir de ses études, de ses recherches, des problèmes épineux qui se résolvaient sous les coups de la réflexion et du travail, Mike se fatiguait des couchés de soleil rougeoyants et des bancs de poissons multicolores, se remémorant de plus en plus souvent les aventures haletantes qui avaient plusieurs fois manqué de lui ôter la vie.
Les deux amoureux contemplaient le couché de soleil, enlacés sur le canapé, n'osant pas s'apitoyer sur leur sort, mais espérant secrètement que quelques chose vienne rompre la monotonie qui commençait à les menacer.
Le soleil était peu près à moitié couché lorsque le téléphone sonna.
Et hop, c'est reparti. Pas trop vite quand même, mais c'est surtout parce que c'est l'heure de la fin de la journée là, et donc voilà. Demain vous saurez qui appelle Mike et Ricky, pourquoi comment et surtout : d'où ?
Billy Bilboquet. |