pour Lise
Nile
20-XIII-PC
Nous sommes arrivés hier sur le chantier, la navette nous a déposés sur l'héliport flottant, installé le jour même. Le voyage a été long et fatiguant, l'appareil était bruyant, et le vent qui sifflait sur la carlingue m'a empêché de dormir. J'ai profité de ce premier jour pour me reposer du trajet et explorer le site. J'ai rencontré Yann ce matin, le chef de l'expédition, il est ici depuis trois jours, depuis le début. Il m'a décrit l'organisation du site et des équipes de travail. Le chantier est à quelques centaines de mètres à peine vers le nord, invisible derrière un petit promontoire de glace. Je ne suis pas encore allée voir. Je vais consulter les rapports d'avancée des recherches, j'irai me rendre compte par moi-même demain matin.
21-XIII-PC
Hier j'avais prévu de me rendre sur le chantier ce matin, mais une tempête s'est levée cette nuit, et va durer toute la journée. Toutes les communications sont coupées, on voit à peine les bâtiments voisins. Les navettes ont été rentrées dans les hangars souterrains et on circule par des tunnels creusés dans la glace. Je vais devoir me contenter des rapports pendant encore une journée. Les documents que j'ai consulté hier et ce matin m'ont conforté dans la vision que je me suis forgée depuis que j'ai appris l'existence de ce site. J'espère que la tempête me permettra de voir cela de mes propres yeux demain.
22-XIII-PC
Je viens d'ouvrir les volets de la petite cuisine de mon baraquement, le ciel est d'un bleu parfait. Je vais partir sur le site dès que j'aurais pris mon petit déjeuner. La motoneige que j'avais demandée est déjà garée devant ma porte.
23-XIII-PC
C'était extraordinaire ! Le site est entouré d'une barrière de glace qui le protège du vent et le masque, j'ai du m'approcher en motoneige jusqu'à une centaine de mètres à peine, sans rien voir. Lorsque j'ai franchi la crête je suis restée immobile, abasourdie pendant plusieurs minutes. Les remparts formés par les amas de glace ont formé une dépression à peu près circulaire, le sol est plus bas d'environ deux mètres au centre de la zone. Dans cet écrin se dresse une cathédrale de glace. Au sol l'édifice dessine un gigantesque flocon de neige, les ramifications complexes se replient et zigzaguent au plus profond des épais murs translucides qui s'enfoncent dans la poudreuse. Le drapé cristallin semble s'être figé au milieu d'une tempête, agité de vaguelettes immobiles. Cette structure ciselée s'élance dans le ciel, muraille verticale gothique et transparente. La lumière du soleil tombe à travers les parois fugaces, traverse l'air et l'eau dans une cascade de diffractions irisées. Je ne suis pas entrée. Une balise rouge vif marque une ouverture qui a été découverte ce matin après la tempête, elle doit être dégagée ainsi que tout le pourtour de la construction, avant que l'on commence la phase d'exploration détaillée.
24-XIII-PC
les travaux de déblayages sont en cours. Des souffleuses ont été disposées tout autour du cratère, des compresseurs électriques restés derrière les remparts envoient un jet d'air froid à haute pression qui fait voler la neige sans détériorer la glace. Des lasers de télémétrie ont été placés sur les hauteurs de congères, ils balaient inlassablement la surface translucide afin d'en construire une réplique numérique. Depuis ce matin nous avons dégagé encore un mètre de neige poudreuse, les sondes de profondeur indiquent que la glace des murs conserve la même structure organisée sur encore un mètre avant de devenir plus compacte et plus lourde.
25-XIII-PC
Je pensais pouvoir explorer l'intérieur de la structure aujourd'hui, mais des observations et des tests doivent encore être faits afin de garantir notre sécurité. Irjinn, notre glaciologue, nous certifie que la glace compressée peut être aussi dure que du béton, mais Yann reste très ferme. Nous avons atteint la base de la construction ce matin, la sculpture de la glace commence à devenir plus grossière à quelques centimètres du sol. Les images fournies par les résoneurs nous montrent une large dalle de glace, massive et solidaire des murs, qui forme un socle enterré supportant tout l'édifice. Ces fondations font partie intégrante de la structure, prolongeant les murs jusqu'à une cinquantaine de mètres sous la neige. Le temps est devenu plus nuageux aujourd'hui et la neige soulevée ces derniers jours par le déblaiement n'est pas encore totalement retombée. La magie de mes premières observations a disparu en même temps que le soleil qui jouait dans les flèches de glace.
26-XIII-PC
Le soleil est revenu ce matin. La modélisation de la structure est toujours en cours, nous pourrons sans doute entrer demain. En attendant nous allons prendre des photos du site en profitant du temps découvert. La navette a décollé ce matin avec à son bord le deuxième photographe et plusieurs kilos d'appareils, il survole le cratère en cercles concentriques, complétant par ses clichés ceux que nous prenons du sol, depuis la bordure des congères. Alors que le soleil est à nouveau de la partie, le château de glace est redevenu une vision féerique. Je ne me lasse pas d'observer le scintillement des bulles d'air prisonnières des parois étincelantes, les vibrations des arc-en-ciel piégés entre les parois de verre. Personne ne s'est encore vraiment posé la question de l'origine de cet édifice monumental, perdu au milieu des neiges polaires, nous ne pouvons que nous émerveiller devant un tel présent.
27-XIII-PC
Nous avons fini les premières observations, la modélisation est terminée et les tests sont concluants. La première équipe d'exploration de l'intérieur de cette cathédrale de glace a été formée. Yann, Irjinn et Kyle, le photographe, ainsi que moi-même en faisons partie. Nous entrerons demain, deux heures environ après le lever du soleil afin de profiter de sa lumière à l'intérieur de l'édifice. Les plans obtenus grâce aux observations extérieures ne sont pas d'une grande précision, mais indiquent que la structure interne est aussi complexe et ouvragée que le laisse supposer l'extérieur. Quoi qu'il en soit la construction est transparente pour les signaux radios, nous n'auront donc aucun problème pour organiser l'exploration au fur et à mesure de nos observations.
28-XIII-PC
Nous allons commencer l'exploration dans quelques minutes. J'ai demandé à Raina, l'adjointe de Yann qui va superviser l'exploration depuis l'extérieur, d'enregistrer mes émissions radios, je les inclurais dans ce journal.
Note : Je viens de réécouter ces enregistrements. L'effet est assez déstabilisant car seules mes paroles sont enregistrées, on ne suit ainsi que la moitié des conversations.
- Test transmission...
- Confirmation reçue.
- Nous nous engageons dans l'arête ouest, un couloir large d'un mètre environ, visibilité de deux, des angles et des détours coupent les perspectives.
- Yann et moi sommes séparés, gardons le contact radio.
- J'ai avancé de 30 mètres d'après mon dévideur, les passages se rétrécissent et le plafond s'éloigne, j'arrive près du centre de la structure.
- Je dépasse des puits de lumière, des cheminées de plusieurs dizaines de mètres crèvent la structure jusqu'au ciel, laissant pénétrer le soleil jusqu'au sol. L'air est ici pur et totalement transparent, aucun flocon de neige ne s'envole sous mes pas. Le ménage a été fait avant que nous arrivions.
- La couche de glace sur laquelle je marche est parfaitement plane, de minuscules aspérités régulières m'empêchent de glisser. La dalle est ici très épaisse, transparente sur environ deux mètres, puis triée comme un verre dépoli, apparemment dans le seul but de bloquer le regard.
- Le couloir que je suis n'offre plus d'embranchements depuis quelques minutes, son parcours semble moins aléatoire que les précédents. Je continue sur cette voie.
- Les murs s'écartent à nouveau, j'entre dans une petite rotonde, une impasse apparemment. Le couloir par lequel je suis arrivée mesure à présent deux à trois mètres de large, le plafond se perd dans un lustre de dentelles qui se découpe à environ dix mètres au dessus de moi. Je ne distingue pas d'autre entrée à cette pièce. On dirait une chapelle, le boudoir de la princesse des glaces.
- J'ai fais le tour de cette petite salle, les murs sont lisses et forment un cylindre parfait, ils montent abruptement avant de se perdre dans un tumultueux fracas de glace et de cristal figé, un lustre étincelant éclairé par une cheminée de laquelle tombe la lumière naturelle.
- Un instant. Le sol de la pièce n'est plus transparent comme dans les autres couloirs, il est d'un blanc mat, compact et solide dès le premier centimètre. J'utilise mon résoneur...
- Le sol est uniformément plat, un bloc de glace d'une seul pièce, sauf au centre de la rotonde. Le graphe indique une dépression juste sous la surface, une couche de quelques centimètres de glace blanche recouvre une cavité profonde de vingt centimètres environ. Je demande la permission de sonder.
- Mes coordonnées sont 25.80 12.97, je plante un indicateur fixe. Je sonde...
- La sonde confirme les mesures précédentes, une niche de vingt-cinq centimètres de profondeur et d'un diamètre de trente occupe le centre de la rotonde. Elle semble abriter une petite boule de glace. Je pratique une ouverture...
Line
Line s'approcha de son père, deux yeux bleus gigantesques dans un visage d'enfant. Il souriait, certain de sa victoire. Elle l'embrassa en agrippant le paquet rouge vif qu'il tenait dans sa main droite puis, dans un remerciement pressé, la petite fille entreprit de réduire l'emballage à son état naturel. Ouvrant le petit coffret noir, elle sautilla sur place pendant plusieurs secondes, appelant père et mère à la contemplation du merveilleux présent. Après avoir donné le papier aux flammes qui dansaient dans la cheminée, elle accepta négligemment l'écharpe imposée par sa mère puis se jeta dehors, gambadant dans la neige qui lui arrivait aux genoux. Lorsque la distance parcourue lui paru suffisante, Line entreprit de creuser un trou dans la neige. Sautant sur place elle se ménagea un espace découvert au centre duquel elle s'accroupit. L'enfant ouvrit délicatement l'écrin noir, en sortit d'un geste émerveillé une boule cristalline et miroitante aux reflets changeants. Lentement, la boule fut posée dans un creux de neige, à son sommet un léger symbole représentait une main. Line enleva son gant, appuya la paume de sa main sur la bulle brillante
Les vagues emprisonnées semblèrent s'accélérer, le cristal vibra un instant, prenant contact avec la neige qui l'entourait. Dans un bruissement léger les flocons alentours s'animèrent, enveloppèrent la petite fille dans un ballet scintillant. Tout autour d'elle des murs de glace surgirent, cascade inversée de neige en mouvement. Les parois de glace se construisirent, se lovant les unes autour des autres, éclatant en gerbes ciselées. Des flèches élancées pointèrent dans la nuit, accrochant dans leurs arches les reflets de la lune. Les couloirs ondulèrent, créant des chemins et des dessins complexes, des recoins de cristal ouvragé, des niches contournées abritant un vide scintillant. Une cathédrale de glace, de cristal et de neige entoura la petite fille accroupie. Emerveillée et interdite, elle restait immobile au milieu de son nouveau royaume.
|