pour Selma. Musique : Bonnie Tyler, Total eclipse of the heart
La Lune glisse lentement sur la surface ridée du lac de Lyre. Sur l'autre rive, la Cité des Sommets se reflète dans l'eau glacée. Luh est seul sur le rocher qui tombe à pic, assis en tailleur sur l'étroite plate-forme aménagée là par un vieux berger à une époque oubliée des anciens. Il se tient droit, les yeux fermés, les mains posées sur ses genoux. Sa tête légèrement penchée se reflète dans les eaux calmes qui lèchent la pierre, ses cheveux blonds tombent en boucles serrées sur ses oreilles pointues. La brise légère fait onduler son manteau, joue dans ses doigts qui remuent silencieusement, dessinant des arabesques immobiles autour de ses poignets.
Le silence de la nuit entoure le lac. Au loin la ville reste muette, éteinte comme un diamant noir oublié dans son écrin. La tristesse couvre le pays comme un voile sombre, insaisissable et omniprésente. Le gardien de ce monde reste immobile sur son rocher, dernier rempart avant le vide, il retient le monde qu'il aime. Les hommes ont quitté ces contrées, engloutis par la force obscure qui happe lentement l'univers. La nature lutte difficilement contre la mort qui cherche à l'étouffer. Le peuple de la magie fait tout pour contrer l'avancée irrésistible des ténèbres sur ce monde autrefois riche et vivant.
Une douce clarté émane du rocher de quartz noir sur lequel est assis le Lutin, la lumière bleuté semble sortir d'un rêve. Elle entoure le rocher, comme renforcée par la présence de la silhouette immobile assise en tailleur. Lentement, un brouillard luminescent envahi le lac, monte des profondeurs de l'eau glacée, pénètre silencieusement dans les recoins de la terre. La lumière monte jusqu'à la ville, gagne les maisons et les tours, rend un semblant de vie aux ruines naissantes. Un doux murmure accompagne la progression de l'onde insaisissable. Comme une chanson murmurée par une mère à son fils, le vent chuchote dans l'oreille de l'enfant les promesses d'un monde qui renaît. Le souffle de la plaine se réveille, balbutiement des saisons à venir. La surface du lac se trouble, agitée par la vie qui se répand dans les profondeurs. Une à une, les lumières de la ville s'allument, la Cité des Sommets redevient pour un siècle le phare scintillant qui surplombe le lac.
Sur le rocher, une silhouette immobile dors, couché en chien de fusil sur l'étroite plate-forme, enroulé dans son long manteau, le gardien de ce monde se repose.
Dors Lutin, dors et garde nous de l'oubli. |