pour l'IImondE
Intrusion
Le réveil clignote doucement dans la pénombre. 19h57, plus que trois minutes avant la connexion, rien à faire avant.
Il se renverse dans son fauteuil, tous les appareils sont branchés, vérifiés et sous tension, programmes chargés et amorcés. La ville sombre miroite derrière la vitre, les enseignes de néon clignotent à la gloire du capitalisme.
Il coiffe le casque de supervision Neotek, les programmes sont autonomes mais il est payé pour superviser l'opération.
Les écrans scintillent, 19h59, ça va être l'heure, le subcom fait entendre le cliquettement de la mise en attente, il se redresse.
>> 20h00...connexion établie...
La chambre crasseuse disparaît, se brouille. Le brouillard est balayé par un souffle de vent, les avenues habituelles apparaissent. Il y a du monde à cette heure, les flux translucides de données publiques se croisent dans des canyons de glaces. Les robots de recherche filent le long des circuits habituels, billes colorées placardées de réclames numériques traversant les utilisateurs humains. Le décor vibre sous les changements incessants de contenu, les mises à jour et les transferts. Quelques canaux protégés découpent leurs trajectoires sombres sur le fond bleu scintillant des domaines publics.
>> Connexion cible... Adresse verrouillée... chargement des procédures d'entrées...
Il plonge vers un scintillement particulier. La paroi se rapproche à une vitesse vertigineuse, il frôle un canal de transfert de fond, plonge toujours plus bas dans une gorge sans fond, la parois glacée va le percuter. Déphasage. Il est dans la partie publique du système cible. Les couleurs de la compagnie l'entourent, un logo flotte vers son épaule. Le décor est plus chaud, plus convivial, c'est une banque. Les informations publiques sont à disposition des utilisateurs, les services payants et gratuits ouvrent leurs portes. Une jeune fille s'accoude à un guichet. Des avertissements lumineux tapissent les parois du périmètre de protection de données privées. Il longe les comptoirs d'accès, s'approche des murs protégés.
>> Entrée secondaire franchie... Alarme détectée sur le réseaux externe... Activation des destructeurs de diversion...
Les parois virent du blanc au rouge, les utilisateurs s'évanouissent, déconnectés. Il voit à présent derrière les parois de protection des données, le programme chercheur poursuit sa route, flèche noire parcourant les lignes de secours jaunes intermittentes. Les virus de diversion attaquent depuis l'extérieur, submergent les rerouteurs, les logos de la compagnie disparaissent, perte de puissance. Le programme infiltré libère les codes de sabotage, des trous s'élargissent dans les protections qui fondent comme du plastique chauffé. Le périmètre s'assombrit.
>> Fermeture des entrées régulières... Perte de contact terminal imminent...
Les ouvertures extérieures disparaissent, la banque est fermée. Le système cible s'est déconnecté du réseau global. Il bascule dans l'obscurité.
>> Connexion par réseau spécial de transfert...
La lumière revient, plus nette, la connexion est directe à présent. Il distingue les codes d'accès confidentiels, les protections globales sont devenues inopérantes. Les murs de protections ont disparu. Le programme chercheur poursuit sa route vers le noyaux de données.
>> Périmètre cible atteint... Recherche en cours...
Il arrive dans la base principale, forteresse d'acier noir poli. Les groupes de données s'élancent dans toutes les directions, flèches de cristal éclairant les caves du bunker, les automates d'indexation bourdonnent en tout sens. Le programme chercheur laisse la place aux comparateurs de registre. La nuée de capteurs se répand dans la base de donnée comme des mouches, cherchant les fichiers cibles.
>> Données verrouillées... Enregistrement et destruction.
La base se dissous, les cathédrales de verre s'effritent, les données s'effacent, laissant un vide uniforme. Les automates disparaissent.
>> Passe terminée... Déconnexion... 20h01...
Obscurité.
Il retire le casque, les programmes sont arrêtés, le disque contenant les données récupérées glisse hors du lecteur. La ville sombre miroite derrière la vitre, une enseigne de néon s'est éteinte.
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noisurtnI
Elle jette un coup d'oeil nerveux à la pendule qui trône au salon, 19h57, il faut absolument qu'elle passe à la banque ce soir si elle veut pouvoir débloquer de l'argent pour faire les soldes demain.
" D'accord chérie, on en reparle demain, promis"
" Oui bien, demain, promis."
Elle repose le téléphone sur le guéridon de marbre, se dirige vers l'escalier. Les marches grincent lorsqu'elle grimpe au salon de connexion.
19h59, elle doit se connecter avant 20h00 pour que la transaction ait lieu le jour même.
Elle coiffe délicatement le casque Neotek que son père lui a offert pour son anniversaire. Le salon disparaît, laissant apparaître les allées du département commercial, ternes et grouillantes de monde. Elle entre dans la banque par son canal réservé habituel, indifférente au va-et-vient des clients impatients. Un automate l'accueille et la guide, elle s'approche du comptoir des virements. Une publicité du bijoutier C apparaît devant ses yeux et flotte autour d'elle un instant. Elle réfléchit au montant nécessaire à ses achats. Un homme en imperméable l'évite et se dirige vers le fond de la banque.
Elle s'accoude au comptoir de bois précieux, demande que le transfert soit fait immédiatement sur son compte de dépenses.
Elle s'apprête à quitter la console lorsque les lumières faiblissent, vacillent. La banque est secouée, elle se raccroche aux cloisons du guichet pour ne pas tomber. Les portes de la banque deviennent floues, un hululement strident déchire ses tympans, des couleurs d'apocalypse l'entourent.
>> Déconnexion... 20h01...
Obscurité.
Elle retire le casque, ouvre les yeux. La console à été déconnectée par la banque.
Le télescripteur sécurisé s'allume, son rouleau se dévide, le message s'imprime.
La banque vient d'être dissoute, ses comptes aussi.
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